15 janvier 1979

Au Congrès international sur le droit de l'informatique

01 Informatique No. 523

La protection juridique du logiciel à nouveau d’actualité

La protection juridique des programmes est un sujet dont les informaticiens discutent depuis de nombreuses années. Le débat reprend de l’actualité avec la publication récente des « Dispositions types sur la protection du logiciel » par l’Ompi (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), qui ont fait l’objet de vives discussions au récent congrès tenu à Genève sur le droit de l’informatique (voir 01 Hebdo – N° 520). Les neuf articles commentés dans un opuscule à couverture dorée pourraient, en effet, servir de base aux pays soucieux d’introduire une législation dans ce domaine, car le droit positif existant s’adapte mal aux contraintes et aux caractéristiques de l’informatique.

La fabrication du logiciel ou des programmes, exige des investissements considérables. L’élaboration des systèmes informatiques représente souvent plusieurs hommes/mois ou années de travail acharné.

L’investissement en logiciel: 20 milliards de dollars par an

On a pu estimer qu’environ une vingtaine de milliards de dollars USA sont dépensés chaque année dans le monde pour la création et la maintenance des systèmes. Le logiciel constitue aujourd’hui près de 70% des dépenses informatiques totales, contre 30% seulement pour le matériel.

Avec la baisse du coût des ordinateurs et l’augmentation normale des salaires, l’écart entre ces proportions, qui était inverse il y a quelques années seulement, continuera de croître à l’avenir.

On comprend dès lors, le souci des fabricants de logiciel désireux de protéger de tels investissements contre des usurpations frauduleuses. Ils pourraient envisager d’utiliser les législations existantes, mais, à bien des égards, elles se révèlent inadaptées ou insuffisantes.

Le droit positif

La protection par le brevet ne couvrirait qu’une proportion minime des programmes, environ 1%, puisqu’elle exige de ceux-ci un caractère nouveau et inventif. La législation sur le droit d’auteur qui protège la création intellectuelle ne pourrait pas être invoquée lorsque le programme se présente sous certaines formes, par exemple sur support magnétique. Enfin les lois sur la concurrence déloyale impliquent de conserver le secret des programmes pour en assurer la protection.

Or, un des premiers objectifs de l’Ompi, lorsqu’elle a rédigé les dispositions types pour protéger le logiciel, est justement de faciliter la diffusion des programmes auprès des pays en voie de développement et de stimuler leur commercialisation.

Les titulaires des droits

Prenant pour point de départ la législation en matière de droit d’auteur, ces dispositions s’en écartent cependant sur un point fondamental, celui des titulaires des droits.

C’est là une des grandes originalités de ce document. « Le titulaire des droits peut être une personne physique ou morale » (article premier V). « Lorsque le logiciel a été créé par un employé dans l’exercice de ses fonctions d’employé, les droits appartiennent… à l’employeur (article 2,2) ».

Maître Xavier Desjeux, animateur de la table-ronde, n’a pas hésité à qualifier de révolution d’ampleur exceptionnelle ces clauses qui garantissent les fabricants de logiciel contre les dangers dus à la mobilité de leur personnel.

Le logiciel, investissement économique, ou création intellectuelle

Le document de l’Ompi présente cependant certaines ambiguïtés car les règles préconisées sont sur certains points en contradiction avec l’exposé des objectifs et les commentaires qui les précèdent.

La protection selon l’article 3 s’étend « au logiciel qui est original dans le sens qu’il est le fruit du travail intellectuel personnel de son créateur ». Mais selon l’interprétation plus ou moins restrictive du terme original, et selon l’importance que l’on accorde aux objectifs commentés, la proportion des programmes bénéficiant de protection varie entre 2% et 80%. Cet écart mérite réflexion. Mettre sur pied une législation particulière pour 2% des programmes paraît inutile. A l’opposé, accorder protection à 80% du logiciel revient à reconnaître plus d’importance à l’investissement économique qu’à la création intellectuelle.

Dans ces conditions pourquoi accorder une préférence au logiciel plutôt qu’à d’autres investissements économiques ne bénéficiant pas de protection juridique spéciale?

Le dépôt ou l’enregistrement des programmes

Un deuxième problème important concerne le dépôt ou l’enregistrement des programmes à protéger. Les règles des dispositions types qui s’inspirent, on l’a vu, essentiellement de la législation du droit d’auteur, ne soumettent nullement la protection au dépôt préalable des programmes. Elles commentent toutefois longuement la question. Parallèlement à la sécurité juridique, le dépôt favoriserait la création et la diffusion du logiciel, puisque les propriétaires n’auraient plus à se préserver contre les usurpateurs par le seul biais du secret. Mais il faudrait alors mettre sur pied un système de classification, d’indexation et de mise à jour des programmes qui ne serait valable que s’il était réalisé à l’échelon international.

Faut-il, en conclusion, selon le mot d’un des participants du congrès, considérer les dispositions types comme une auberge espagnole où chacun y trouvera son compte puisque plusieurs interprétations seront permises? Mais alors quelle en est la valeur?

Ne vaut-il pas mieux les prendre comme un point de départ de réflexion et une base de travail solide?

Car le problème, tout académique qu’il paraisse aujourd’hui, devra immanquablement être résolu dans un proche avenir. La multiplication des ordinateurs, la facilité d’échanger des programmes par l’intermédiaire des réseaux, l’accession des profanes aux programmes grâce à des techniques de plus en plus souples et à des langages conversationnels de plus en plus simples, seront autant de facteurs décisifs militant en faveur d’une protection impérative du logiciel.

Marielle Stamm