Une histoire de l'informatique en Suisse

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Chapitre 3 - 1977, l'année des grandes manoeuvres

L'année 1977 sera celle des grandes manoeuvres pour la mise sur pied de projets informatiques colossaux qui se chiffrent en dizaines de millions de francs suisses. Après l'armée et les grands hôpitaux (voir chapitre1, les articles sur Pisa et Diogène), c'est l'informatisation de la police et des banques qui agitent et perturbent le microcosme helvétique.

Police, la quadrature du cercle

Deux systèmes concurrents se disputent les faveurs de la Police et exacerbent les rivalités régionales. Faut-il centraliser ? C'est ce que prônent les concepteurs du projet alémanique. Il remporte les suffrages de 19 cantons Outre Sarine, s'appelle KIS (Kriminal Polizeiliches Informations System) et s'articule autour d'un double ordinateur mammouth relié en télétraitement à des terminaux installés sur 110 sites. Le projet romand et tessinois privilégie au contraire une saisie décentralisée à l'échelon de chaque canton. L'approche diffère aussi sensiblement en matière d'applications à traiter prioritairement, personnes recherchées (70'000 individus) ou personnes connues (un million). Les intrigues vont bon train autour de cette quadrature du cercle, ainsi qu'est titré le premier des deux articles consacrés à ce vaste imbroglio.

Un cheval de Troie dans les banques

Autre terrain de bataille, les banques. Avec comme cheval de Troie, le système Swift qui permet de relier les établissements bancaires pour tout ce qui concerne le clearing international. Ainsi fonds, fonds, fonds, ironise l'auteur de l'article. Le constructeur américain Burroughs a remporté une première victoire en fournissant le système central. Reste à chaque niveau national à choisir les SID (System Interface Device), soit les machines dont chaque banque devra s'équiper pour s'y relier. Et c'est là que le fameux cheval des rusés Grecs intervient.

Car qui peut le moins peut le plus. Pourquoi ne pas utiliser cet ordinateur pour résoudre les autres problèmes de la banque ? Les trois fournisseurs officiels de SID se vantent d'y parvenir. L'avantage semble être acquis par Burroughs choisi par un pool de 47 banques suisses. Mais les deux autres concurrents de ce marché disputé, Singer (devenu dans l'intervalle ICL) et General Automation, n'ont pas dit leur dernier mot. Quant au constructeur IBM, il ne se fatigue même pas côté matériel. Ses ingénieurs développent les logiciels qui permettront de relier directement ses machines bleues à Swift.

Des projets pharaoniques

Ce sera la solution adoptée par la très puissante SBS pour la plus grande réalisation bancaire de Suisse, un système à trois étages RTB, Real Time Banking. Il abritera une base de données lourde de 1,4 milliards d'octets, soit la bagatelle de 1,4 gigas, et remplacera avantageusement les 11 millions de cartes perforées utilisées jusque-là. Au passage, la banque pourra supprimer 800 emplois ! A l'époque, on n'a pas encore honte de s'en vanter...

Avec RTB, la SBS a une longueur d'avance sur l'autre grande banque suisse, l'UBS (on est encore très loin du mariage des années nonante...). Cette dernière a enterré le trop colossal Ubisco. Abascus, non moins pharaonique et tout aussi pyramidal que son prédécesseur, renaît de ces cendres avec, à la clé, environ 100 millions de francs suisses à gagner. Ils sont convoités par les constructeurs aux reins les plus solides. Face à IBM, se profile Sperry Rand et sa nouvelle acquisition, Univac. Gianni Rusca, à la barre de ce paquebot, commente sa stratégie, le management par objectifs ! Dans sa ligne de mire, Abascus et ses millions. Une politique qui portera ses fruits. UBS restera fidèle à Univac.

Qui s'étonnera, devant l'ampleur de ces projets, que les banques totalisent à elles seules 27.9% de la mémoire installée en Suisse, ainsi que l'annonce l'Institut de Fribourg ? Les chiffres des études respectives de Fribourg et de la Chambre de Commerce Allemagne-Suisse divergent sur de nombreux sujets. Par souci de cohérence avec les études précédentes, le prestigieux Institut oublie malheureusement de s'adapter aux plus récentes technologies et à la nouvelle terminologie.

Mubus, Crocus et Dauphin, le futur se dessine

Or, celles-ci font leur chemin sans tambour ni trompette. Comble de l'ironie, on se pose encore la question : « des microprocesseurs, pourquoi faire ? » à une journée organisée par la très sérieuse ASSPA (Association suisse pour l'Automatisme). Mais dans les murs de l'Ecole Fédérale Polytechnique de Lausanne, le Professeur Jean-Daniel Nicoud met au point les produits qui feront sa renommée. Le Mubus, un bus standardisé sur lequel on enfiche des connecteurs pour relier diverses applications est montré pour la première fois dans une petite expo IMMM à Genève, puis à Bâle, à l'Ineltec, où la microinformatique est en vedette.

Les autres bébés du Professeur s'appellent Crocus et Dauphin. Grâce à ces produits, concoctés dans le Laboratoire des calculatrices digitales, les brillants élèves de l'EPFL pourront comprendre les microprocesseurs. Avec le premier, ils disposent d'un outil à la fois didactique et ludique, permettant le dialogue grâce à son écran et à son clavier. Avec le second, ils peuvent développer leurs propres applications.

L'homme dialoguera avec la machine

Les adeptes du Personal Computing (PC), un terme et une abréviation venus d'Outre-Atlantique et qui vont bientôt faire le tour du monde entier, se regroupent au sein du Microclub. Ils sont déjà 160, durant l'été 1977, à pianoter et à échanger leurs recettes de cuisine. Ces aficionados du Dauphin ont aussi le coeur sur la main. Ils vont lancer un concours sur les thèmes de l'aide aux handicapés et aux aveugles.

Thèmes prémonitoires. Car sans le doigt et l'oeil, l'informaticien sera vite dépourvu. Le grande problématique des années à venir va tourner autour du dialogue homme-machine. Le Professeur Bernard Levrat, directeur du Centre Universitaire de l'Université de Genève, décrit l'état de ses recherches dans un article publié à l'occasion de la première édition suisse de 01 Informatique, un Spécial Bufa. Devant un écran à plasma, des diodes à infra-rouges détectent la présence du doigt. Celui-ci ouvre le menu et son organigramme bien structuré derrière lequel se cache le langage Pascal. A lui tout seul, ce langage évoque un grand moment de l'histoire de l'informatique suisse. Nous y reviendrons.