5 avril 1976

Interview exclusive de Hans R. Lüthy: IBM-Suisse face à son marché

01 Informatique No. 378

Treizième entreprise commerciale dans notre pays, IBM Suisse a réalisé en 1975 un chiffre d’affaires de 549 millions de francs suisses, avec un effectif de 2’400 personnes. Dans une interview exclusive à 01 Informatique, Hans R. Lüthy, 31 ans d’IBM à son actif et directeur d’IBM Suisse depuis bientôt 20 ans, décrit sa société, dans le contexte du marché informatique d’aujourd’hui.

Hans R. Lüthy
Hans R. Lüthy

01 Informatique: Quelle est l’importance d’IBM Suisse par rapport aux autres filiales européennes?

Hans R. Lüthy: Le caractère d’une société varie d’un pays à’ l’autre, selon que celle-ci possède ou non des unités de production ou un centre de développement d’applications par industrie. IBM Suisse est une organisation de vente et de prestation de services. Malgré sa taille modeste, notre pays représente un marché important pour IBM. Par sa densité en ordinateurs, la plus forte du monde, par ses applications avancées, la Suisse fait figure de pionnier, au même titre qu’un grand pays industrialisé.

01: Compte tenu de l’absence d’industrie informatique nationale suisse, IBM occupe-t-elle une position privilégiée?

H.L.: Non. Le jeu de la concurrence fonctionne parfaitement en Suisse et y maintient un climat sain. Tous les constructeurs ont leur chance, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Il faut cependant souligner que la situation économique a pour corollaire une situation de marché plus difficile. La concurrence est devenue plus dure.

01: IBM occupe-t-elle une place prépondérante dans les administrations?

H.L.: Nous comptons de nombreux clients dans les administrations publiques. L’expérience du constructeur est primordiale dans la décision de cette catégorie de clients. Lorsque je dis expérience, je l’entends dans toute l’acception du terme. Il est naturel, par exemple, que les administrations publiques se préoccupent de problèmes de sécurité et de protection des données. Nous avons coopéré à la création d’un concept en la matière, lors du développement du projet du Canton de Bâle-Ville, qui est aujourd’hui encore une référence. De même pour la ville de Lausanne, qui sera aussi un modèle du genre.

01: Quelle est la place d’IBM dans les secteurs privilégiés de l’économie suisse, banques, assurances etc.?

H.L.: Pour vous donner une idée de notre clientèle dans ces secteurs, je vous citerai la Société de Banque suisse, le Crédit Suisse, la Banque populaire suisse, la Banque Leu et de nombreuses banques cantonales, la Société Suisse de réassurance, la Zurichassurances, la Winterthur-Assurances. Mais les petits établissements bancaires sont aussi nombreux parmi nos clients qui sont souvent équipés en systèmes 3.

01: Quelles sont vos références dans le secteur industriel, process-control, contrôle de production?

H.L.: Nous avons réalisé plusieurs installations complexes dans ce domaine. Le système 7 a succédé au 1800. Par exemple, la cimenterie « Zementwerke AG Untervaz » utilise un système 7 pour la surveillance et la commande des équipements d’homogénéisation et de mélange ainsi que pour la commande des fours.

01: Quels sont les produits qui marchent le mieux dans notre pays?

H.L.: Il est difficile pour les gros matériels de mesurer leur succès en nombre de systèmes vendus. Pour les matériels de grande diffusion, cet indicateur est plus significatif. Les systèmes 3 suscitent toujours un intérêt réel et le système 32 surtout a remporté un franc succès. Les programmes d’application sont particulièrement appréciés des utilisateurs de ces systèmes. Souvent leur emploi évite aux petites entreprises de devoir former un département informatique.

01: Combien y a-t-il de systèmes 32 installés en Suisse et comment expliquez-vous son succès?

H.L.: Nous ne publions aucun chiffres sur nos ventes ou installations. Pour répondre à votre seconde question, je pense que ce produit est arrivé sur le marché au bon moment. En Suisse, la récession a encouragé les petites entreprises à opérer des rationalisations. En 1975, 60% de nos clients du système 32 ont eu recours aux programmes d’applications que nous avons développés sur cet ordinateur.

01: Est-ce que la vente du modèle 32 n’est pas rendue difficile par l’abondance de petits matériels concurrents équivalents et dont l’extension est plus souple?

H.L.: Le système 32 a été conçu surtout pour répondre aux besoins des entreprises de petite taille et sa capacité s’est révélée suffisante pour en assurer le succès. Vous savez cependant que nous avons récemment étendu la capacité de la mémoire centrale et donné la possibilité aux utilisateurs de choisir les cartes comme support d’information.

Bien que ce secteur du marché soit déjà bien fourni par des matériels concurrents, nous y avons fait une entrée très « réjouissante »!

01: Pourquoi IBM ne propose-t-elle pas de « systèmes clés en mains »? Peut-elle se permettre de négliger cette part de marché?

H.L.: Non bien sûr. Mais nous n’encourageons pas nos clients à choisir cette solution, parce que nous pensons que ce n’est pas dans leur intérêt. Nous préférons rendre nos clients autonomes et les aider à réaliser le « réseau à trois partait », direction utilisateur, département informatique et constructeur. A court terme, cette conception demande probablement un effort plus grand de la part de la direction et du département informatique. A long terme, en revanche, le client s’apercevra qu’il garde le contrôle de ce qui se fait chez lui.

Ayant suivi des cours, pris certaines initiatives et responsabilités dès le début, les membres de la direction et du département informatique seront beaucoup mieux à même de dialoguer entre eux et avec le constructeur et de trouver des solutions rentables. Cela ne signifie pas que nous soyons démunis lorsqu’un client préfère une solution « clé en mains ».

Un département de notre compagnie (System Management Services) est spécialisé dans ce genre d’affaires et coordonne aussi bien au niveau suisse qu’au niveau européen les activités de vente et de réalisations de tels projets.

01: Le bruit court qu’IBM songe à attaquer le marché OEM. Si cela est vrai, est-ce pour bientôt en Suisse?

H.L.: Vous savez que nous ne spéculons pas sur l’avenir et je ne peux donc pas répondre sur ce point.

01: Quelles sont les répercussions de la récession sur les ventes?

H.L.: Il est évident que la situation économique actuelle a une incidence sur les ventes. Cependant, il ne faut pas généraliser non plus. La situation n’est pas uniformément mauvaise en Suisse, certains secteurs sont moins touchés que d’autres. De plus, les attitudes sont très différentes devant la récession et ceci pour les raisons particulières à la Suisse. En effet, les chefs d’entreprise se trouvent dans une situation tout à fait nouvelle pour laquelle ils ne peuvent souvent pas faire appel à leur expérience. Dans ces conditions et suivant son dynamisme, l’état de ses investissements encore à amortir, sa sensibilité à la conjoncture actuelle, une entreprise fera certains choix.

Le besoin d’augmenter la productivité est cependant plus que jamais présent dans toutes les entreprises. Bien plus, les petites et moyennes entreprises réalisent que dans la situation difficile que nous vivons, elles ne peuvent plus se contenter des divers relevés mensuels et du chiffre d’affaires des méthodes manuelles. La transparence de leurs affaires, la possibilité de disposer de documents de gestion aux données actualisées en permanence sont devenues une impérieuse nécessité.

Ceci explique le succès du système 32, je vous l’ai déjà dit. La conversion d’un système plus grand a aussi été souvent pratiquée cette année, plus particulièrement dans les systèmes 3 chaque fois que l’investissement offrait des avantages immédiats et permettait un amortissement rapide. En revanche les grands projets ont été souvent étalés sur une plus grande période et les extensions qui n’étaient pas absolument indispensables ont été retardées ou momentanément suspendues.

01: Que sera, compte tenu de cette conjoncture, l’avenir d’IBM Suisse en 1976?

H.L.: Je pense que les disparités que je viens de vous exposer subsisteront. Toutefois je suis optimiste car le potentiel pour le développement de nouvelles applications n’est de loin pas épuisé. Et le point de saturation est bien loin d’être atteint.

Propos recueillis par Marielle Stamm

La semaine prochaine, « La politique commerciale et les services ».

La politique commerciale d’IBM-Suisse, avril 1976