31 mai 1977

La Suisse informatique à la lumière de deux études

01 Informatique No. 438

Institut de Fribourg et Chambre de Commerce Allemagne-Suisse

L’Institut pour l’Automation et la Recherche Opérationnelle (IARO) de l’université de Fribourg publiait, il y a quelques semaines, son enquête annuelle intitulée modestement « Effectif des ordinateurs en Suisse ». C’est la huitième enquête depuis 1968, année où l’Institut sortait les premiers résultats de ce qui n’était, au départ, qu’un pur exercice de statistique destiné aux étudiants.

Jusqu’à 1976, cette enquête, qui s’était étoffée au cours des ans, était restée unique * en son genre et, non seulement à ce titre, s’était révélée fort précieuse. Or, à la fin de l’année dernière, la Chambre de Commerce Allemagne-Suisse faisait paraître (en allemand) une étude sur le marché des ordinateurs et périphériques. Dans la suite de cet article, nous l’appellerons, par souci de simplification, l’étude CCAS.

Il est bien difficile de comparer les études, si ce n’est toutefois sur le plan purement matériel du coût. L’étude de Fribourg, effectuée sans aucune subvention, est vendue au prix coûtant de 85 CHF, celle de la CCAS s’élève à 1’100 CHF.

L’intérêt que présente l’étude de Fribourg est d’être basée sur une enquête réalisée auprès d’utilisateurs d’ordinateurs. Des questionnaires sont envoyés à 1’706 sociétés recensées par l’IARO et possédant un ordinateur, ainsi qu’à un échantillonnage pris au hasard de 10% des 17 866 autres entreprises recensées dans le Compass. Sont donc consultées 3’492 entreprises au total. Sur la base des réponses obtenues, l’IARO élabore un large éventail de tableaux qui fournissent une somme importante de renseignements divers. On peut regretter néanmoins que l’IARO ne fournisse pas plus de commentaires, qui donneraient au lecteur pressé une vue plus synthétique. C’est ce travail de synthèse qu’a réalisé la CCAS sur la base des résultats de Fribourg, mais aussi d’autres sources officielles. Ses appréciations permettent de nuancer et de compléter les résultats de l’IARO.

Les tendances à court et moyen terme

La comparaison des derniers résultats de Fribourg (précisons qu’il s’agit de chiffres arrêtés à mi-76) avec les résultats des années précédentes montre l’évolution de l’effectif des ordinateurs dans notre pays.

A court terme, on observe, entre 1975 et 1976, une forte augmentation, 17,2%, la plus forte depuis 1970, du nombre des ordinateurs. Avec 376 installations de plus en 1976 (2’559 unités) qu’en 1975 (2’183 unités).

A moyen terme, pourtant, Fribourg prévoit un aplatissement quasi total de la courbe, jusque-là ascendante, avec une saturation du marché aux environs de 2 700 ordinateurs en 1980. Ces pronostics, qui se basent sur une évaluation de 90 ordinateurs pour 100’000 personnes actives, paraissent toutefois pessimistes aux rédacteurs de l’étude de la CCAS. Certains facteurs, comme par exemple la demande accrue dans le domaine du commerce et de l’industrie ou l’augmentation de la vente des ordinateurs d’occasion, les font pencher pour une augmentation de 300 à 400 unités d’ici à 1980.

La répartition

L’IARO renseigne également sur la répartition du marché entre les différents constructeurs. Si IBM occupe naturellement une place prépondérante, sa part du marché, en nombre d’ordinateurs est passée de 51 % en 1970 à 41,5 % en 1976. Même recul chez Univac (10,9 % contre 20 %), Honeywell-Bull (10,6 % contre 17,5 %) pour les mêmes années, et aussi pour Control Data. En revanche, NCR montre une nette progression et passe de 5 % en 1970 à 15,2 % en 1976.

Pourtant, si on analyse les répartitions effectuées par volume mémoire installée et par valeur installée, cette baisse paraît point significative. Mais les chiffres montrent toujours une poussée de NCR.

De la répartition des ordinateurs par secteur d’activité, on apprend sans étonnement que les banques se taillent la part du lion, avec 27,9 % du volume de mémoire total installé. Dans celle par secteur géographique, on note la prédominance de Zurich, avec 648 ordinateurs installés, suivie de Berne (290) et de Genève (201 sans le CERN).

L’enquête fournit encore des informations intéressantes sur la répartition entre ordinateurs loués ou achetés, la tendance en Suisse étant inverse de celle des pays voisins, puisque 65 % des ordinateurs sont achetés. Une explication pourrait en être le grand nombre d’ordinateurs dans les banques (voir plus haut) et la volonté de faire « durer » les ordinateurs un grand nombre d’années (jusqu’à 10 ans), d’où l’intérêt d’acheter plutôt que de louer. Le tableau sur le taux d’occupation des ordinateurs montre une sous-occupation généralisée des ordinateurs, surtout pour les petites installations. Une des explications apportées par la CCAS étant le manque de personnel qualifié.

La place nous manque pour traiter de la partie réservée aux terminaux, dont le marché devrait connaître, dans les années à venir, une grande expansion, compte tenu notamment des grands projets en cours (Terco, Pisa, grandes banques) ; l’effectif total s’élevait, à la mi-76, à 9 882 unités.

Signalons enfin le chapitre réservé au personnel informatique. La grille des salaires, selon les fonctions occupées, fait apparaître une fourchette beaucoup plus étroite qu’en France. Le salaire moyen d’une perforatrice étant de 1’914 CHF, celui d’un chef de centre informatique ou analyste, de 4’159 CHF.

La rémunération du personnel informatique

Mais ceci est conforme aux échelles de salaires dans les autres secteurs de l’économie suisse, très écrasées également par rapport à la France. On notera encore qu’entre 1975 et 1976, les salaires n’ont pratiquement pas progressé.

Malgré la variété des chapitres traités, il serait faux de penser que l’enquête de Fribourg donne une vision complète de la scène informatique en Suisse.

Où sont les mini-ordinateurs?

Elle se limite volontairement en effet aux seuls ordinateurs de gestion. Le professeur Ernst Billeter, père spirituel de l’étude, s’en explique: « Si nous voulions aborder le domaine de l’informatique technique et scientifique, nous devrions envoyer nos questionnaires aux directeurs techniques des entreprises. Ce ne sont pas les interlocuteurs auxquels nous avons affaire pour notre enquête actuelle et nous n’avons pas, aujourd’hui, les moyens de l’élargir. »

C’est donc tout le domaine traditionnel des mini-ordinateurs affectés aux applications industrielles, scientifiques, médicales et de recherche, qui est laissé de côté. Selon l’étude de la CCAS, il y aurait, en Suisse, 1’900 unités installées. De ce chiffre, 50% reviendraient à Digital. Une augmentation annuelle de 20 à 25% selon les mêmes sources, est attendue, ce qui porte les estimations à 5’000 unités en 1980.

Ces mêmes mini-ordinateurs commencent d’ailleurs à déborder de plus en plus dans le secteur de la gestion. Il aurait donc été intéressant de noter cette invasion dans les tableaux réservés par l’IARO aux petits systèmes de gestion ou PSG, où ils n’apparaissent cependant pas encore.

Les petits systèmes de gestion

Mais qu’entend-on par petits systèmes de gestion? Lorsque l’institut de Fribourg a décidé, il y a deux ans, d’inclure dans son étude un chapitre spécial sur les PSG, il choisissait comme critères de sélection les systèmes ayant une mémoire incorporée et une imprimante à caractères. Pour les concepteurs de l’étude, ces critères étaient plus significatifs que le critère de prix. Car on enregistre chaque année des baisses spectaculaires dans les prix du matériel. Les prendre comme critères ne permettrait pas de faire des comparaisons sur plusieurs années.

Et pourtant, les critères choisis par l’IARO conduisent à des analyses peu satisfaisantes. Selon les configurations, certains systèmes sont inclus dans l’enquête PSG, ou dans l’enquête générale. Il en est ainsi par exemple des systèmes IBM 32. Ce qui explique qu’IBM ne figure pas dans le tableau des PSG, avec cependant 150 systèmes 32 vendus en 1976 (selon l’enquête CCAS).

Par ailleurs, ces mêmes critères excluent de l’enquête les calculateurs de table et les ordinateurs de bureau à compte à piste. C’est pourquoi il est intéressant d’apprendre, toujours selon l’étude CCAS, qu’on dénombre en Suisse 7’500 « petits ordinateurs » dont 60 à 70% sont à compte à pistes.

Changer de critère, nous explique le professeur Billeter, entraînerait un manque de cohérence avec les études précédentes. Il ne serait plus possible d’analyser l’évolution des effectifs et d’en extrapoler les tendances. Et pourtant, si l’étude veut coller à la réalité informatique, elle devra évoluer avec la technologie et s’y adapter. Le premier pas sera d’ailleurs franchi l’année prochaine puisque l’étude, faite jusque-là manuellement, sera effectuée sur ordinateur.

Ce « prêté pour un rendu » ne pourra que l’enrichir!

Marielle Stamm

* A notre connaissance, et en dehors des études confidentielles que possèdent certains constructeurs. (N.D.L.R.)