5 mars 1979

Protection juridique de la sphère privée

01 Informatique No. 530

Un projet fédéral dans le courant de l’année

Huit pays en Europe et Amérique du Nord ont déjà promulgué des lois visant à protéger la sphère privée. En Suisse, les travaux en cours à l’échelon fédéral déboucheront sur une loi qui sera, au plus tôt, en vigueur en 1982. Pourtant, pressés par le développement de leurs applications informatiques, cantons et communes ont adopté ou préparent des textes destinés à protéger les individus contre l’utilisation abusive des banques de données (voir encadré).

Le mouvement a été lancé par le canton de Genève en 1976. Et si, au dire de certains, la loi genevoise présente quelques lacunes, elle a le mérite d’exister depuis bientôt trois ans.

Les initiatives cantonales et communales

Plusieurs cantons ont suivi ses traces. Celui de Vaud a formé un groupe de travail présidé par le professeur Mercier de Lausanne qui a déposé un avant-projet de loi très complet. Plus récemment, le député valaisan René André Bornet a rédigé une motion à caractère impératif qui renferme les prémices d’une loi pour le Valais. D’autres cantons se sont contentés de produire ou préparer des directives administratives sous forme de règlements.

Au fur et à mesure de l’élaboration de leurs projets informatiques, et particulièrement des applications traitant le contrôle de l’habitant, les communes à leur tour ont édicté des règlements internes. A Lausanne, une commission permanente de l’informatique formée de huit conseillers communaux est chargée de « protéger les données contre un usage abusif ». La ville de Zurich vient d’inaugurer le « bureau des droits de regards ». Tout habitant de plus de 16 ans peut venir y consulter, sur l’un des trois terminaux installés à cet effet, les données le concernant, moyennant un versement de 10 francs. Suivant de peu sa décision d’acheter un ordinateur, la municipalité d’Yverdon adoptait, il y a quelques jours, un règlement concernant les données traitées par le futur centre et prévoit également la consultation d’un registre par les citoyens.

Si louables qu’ils soient, ces règlements ne présentent pas une garantie absolue. Le contrôle de la protection n’est-il pas confié aux mêmes autorités chargées de mémoriser, traiter et utiliser les informations? Par ailleurs, la protection reste limitée aux données récoltées par les collectivités publiques. Toutes les informations emmagasinées par des entreprises privées (banques, sociétés de vente par correspondance, etc.) y échappent totalement.

Les travaux à l’échelon fédéral

Seules des lois promulguées sur le plan fédéral pourraient remédier à cet état de fait.

De même que dans les cantons et les communes, c’est l’élaboration de quelques grands projets informatiques à l’échelon national — notamment Pisa et Kis* — qui a été le moteur du lancement des travaux juridiques en cours, à Berne. Soucieuse d’adoucir les problèmes politiques que ne manquaient pas de soulever la réalisation de ces grandes banques de données, la division fédérale de la Justice a chargé une commission d’experts de mettre sur pied un projet de loi. Présidée par le professeur Pedrazzini de l’université de Saint-Gall, cette commission est plus spécialement chargée d’étudier le problème sous l’angle du droit public fédéral.

Une deuxième commission, que préside le professeur Tercier de l’université de Fribourg, a pour objectif de réviser l’article 28 du Code civil, et donc d’approfondir le problème sur le plan du droit privé.

Ces travaux, qui devraient déboucher sur un ou des projets de loi dans le courant de cette année, sont coordonnés par le docteur Rainer Schweizer du département fédéral de la Justice et police. Or plusieurs questions n’ont pas encore été résolues. Adoptera-t-on deux lois, l’une concernant le secteur public, l’autre le secteur privé, comme au Danemark, ou une seule loi dite omnibus réglant la totalité du problème? Mais, dans ce cas, si la loi unique s’applique à toutes les banques de données publiques, aussi bien fédérales que cantonales, ne faudra-t-il pas modifier la Constitution?

D’ores et déjà, un organe de coordination a été mis sur pied sur le plan intercantonal et il est question d’un concordat entre cantons en vue d’unifier le droit dans l’ensemble du pays.

Le processus, on le voit, est amorcé. Il serait souhaitable que les obstacles politiques et juridiques soient levés dans les meilleurs délais et que la Suisse, dont le nombre d’ordinateurs par personne active est l’un des plus élevés au monde, soit, elle aussi, dotée d’une protection juridique efficace de la sphère privée. Avant qu’un incident désagréable ne fasse retomber tout le poids de la faute sur la seule technique, et sur le bouc émissaire favori: l’ordinateur. MS

* Pisa (Personal informations system der Armee): traitement de toutes les données concernant les soldats et officiers de l’armée suisse.

Kis (Kriminal Information System): traitement des personnes recherchées, des personnes connues de la police, etc.

Lire, sur ce sujet, la thèse d’Yves Burnand: « Banques de données électroniques et droit de l’information » (Payot, 1974)

La situation en Suisse

Niveau Type de protection En vigueur En préparation
Fédéral loi
Cantonal loi Genève 24.6.76 Argovie Lucerne Saint-Gall Vaud Valais
Règlement Bâle-Ville, Zürich Bâle-Campagne Nidwalden Grisons? Berne Lucerne Thurgovie? Schaffhouse?
Communal Règlement Bienne Lausanne Olten Soleure Winterthur Yverdon Zuchwil Zurich

… et à l’étranger

Pays ayant adopté une loi générale: Angleterre, Autriche, Canada, Danemark, États-Unis, France, Norvège, Suède.

Conseil de l’Europe: Directives publiées en 1975. Un projet de convention sur la protection des données sera soumis à la ratification de ses vingt membres, en 1980.