28 mars 1977

Sperry Univac - Gianni Rusca à la barre

01 Informatique No. 429

« Rien ne sert de courir plusieurs lièvres à la fois, il faut choisir le bon et bien organiser la chasse ». C’est par cette image vigoureuse que Gianni Rusca, le nouveau directeur général de Sperry Rand Suisse, résume sa politique grâce à laquelle il compte redresser la barre du bateau Univac dans notre pays. Car, bien que numéro 2 sur le marché informatique en Suisse, la société américaine a perdu des points ces dernières années, et notamment en Suisse romande. Gianni Rusca s’est donné pour objectif de les rattraper.

01: G. Rusca, vous cumulez depuis le 1er janvier 77 les fonctions de directeur général de Sperry Rand et de Sperry Univac, en Suisse. Vos dernières responsabilités vous avaient pourtant éloigné de cette compagnie où vous totalisez un passé professionnel de près de 20 ans.

Gianni Rusca: J’ai en effet travaillé pour Univac dès la fin de mes études. Quinze ans après, j’étais nommé directeur de Sperry Univac. En 1972, j’ai démissionné de ce poste pour accepter des fonctions importantes au sein du groupe suisse Electrowatt. En décembre dernier, la direction américaine de Sperry Rand m’a proposé le poste que j’occupe aujourd’hui.

Je vous signale néanmoins que même pendant « cet intérim », je faisais toujours partie du conseil d’administration de Sperry Rand.

01: Pourquoi ce retour?

GR: En dehors de considérations purement financières et de l’attrait d’un poste où je suis le numéro un, l’élément décisif a peut-être été le « virus de l’ordinateur » qui est finalement ancré en moi très profondément.

Mais je vous avouerai aussi que j’ai une préférence pour le management « à l’américaine » auquel j’ai été habitué pendant 20 ans. Dans ce type de management, le processus de décision est à la fois beaucoup plus scientifique et rapide. Le goût du risque est plus impérieux.

01: Voulez-vous dire que ces qualités n’existent pas dans le management à la suisse?

GR: Ne vous méprenez pas. Je ne formule aucune critique. Je vous indique mes préférences.

01: Vous êtes donc aujourd’hui à la tête d’une société qui emploie 1 400 personnes en Suisse, dont 500 travaillent pour Sperry Univac. Quelle est la part d’Univac dans la totalité du CA de Sperry Rand Suisse? Quelle est la part de Sperry Univac dans le gâteau informatique suisse?

Gianni Rusca
Gianni Rusca

GR: Le CA annuel total de Sperry Rand Suisse est de 150 millions de CHF. Ceci englobe le CA réalisé par la société genevoise Lucifer, fabricant d’appareils électriques dont nous avons fait l’acquisition, il y a quelques années. Si nous ne prenons pas en compte Lucifer, Sperry Univac représent 80% du CA total.

Quant au marché suisse, j’aimerais ouvrir une parenthèse et souligner le caractère à la fois exemplaire et difficile de ce marché qui est, à plus d’un titre, un marché test. La Suisse comprend peu de grandes compagnies très puissantes à l’exception de quelques sociétés. Il y règne un très grand libéralisme commercial. Mais le Suisse n’est pas un client facile, il est très orienté sur la technique. Enfin le trilinguisme apporte une difficulté supplémentaire.

Pour revenir à la part de marché détenu par Sperry Univac, il est, avec près de 250 installations, de 16% environ.* Ce qui est plus que la moyenne mondiale qui se situe, vous le savez, entre 8 et 9%.

01: Pourtant votre impact dans notre pays a été encore plus important, puisque vous avez eu jusqu’à 22% du marché, il y a quelques années.

GR: C’est exact. Aussi mon objectif est-il de remonter à ce niveau. Mais je ne me leurre pas, ce sera très difficile.

01: Comment comptez-vous y parvenir?

GR: En appliquant un principe qui m’est cher, celui du management par objectifs. Rien ne sert de courir plusieurs lièvres à la fois. Il faut choisir le bon et bien organiser la chasse. Je compte développer une structure et une organisation qui me permettront d’arriver à mes fins.

Et, en particulier, j’attends beaucoup du lancement de notre nouveau produit le 90/25 qui, en s’adressant à des utilisateurs de petites et moyennes entreprises, nous permettra d’élargir la base de notre clientèle. Avec un prix de départ de 400 000 CHF, le 90/25 est bien placé pour s’attaquer au marché des IBM 3. Je suis en train de mettre en place une équipe spécialisée dans la vente des 90/25 et 90/30.

01: Parlons un peu des grands systèmes, des installations déjà réalisées, mais aussi, si vous le voulez bien, des projets à venir.

GR: Nous avons effectué un certain nombre d’installations importantes aux PTT, chez Hasler, Radio suisse, à l’UBS.

Une de nos réalisations les plus intéressantes est peut-être celle du Real Time Zentrum, le RTC, à Berne qui regroupe les traitements des Banques cantonales de Berne, d’Argovie et de Bâle, de la Caisse hypothécaire du canton de Berne et des Bernische Kraftwerke AG. Nous y avons développé un certain know-how dans le domaine des bases de données qui nous est fort utile pour les projets en cours, notamment Abascus.

Comme vous le savez, l’Union de Banques suisse, après avoir enterré Ubisco, n’a pas renoncé à ses projets et Abascus prend la relève. Après une première élimination, IBM et nous-mêmes restons seuls en concurrence, et les offres seront remises dans le courant du mois d’avril. C’est un projet qui se situe, grossièrement, autour des 100 millions de CHF.

01: J’imagine que votre proposition sera basée autour de votre nouvel ordinateur de grande puissance, le 1100/80.

GR: Je ne peux rien vous cacher. Il y en aura même plusieurs.

01: Mais cet ordinateur n’est encore installé nulle part.

GR: Mais si, sur nos sites aux États-Unis, et il y en a déjà plusieurs en commande, comme par exemple à la Lufthansa.

01: Est-ce que votre proposition comprend également les terminaux?

GR: Absolument, et nous tenons à proposer à notre client les équipements les mieux adaptés à son problème. C’est pourquoi, nous choisirons éventuellement les terminaux d’un autre constructeur. Vous savez que nous avons des accords avec la société Datasaab. Leurs terminaux constituent une des options possibles.

01: Quels sont vos espoirs en ce qui concerne le projet KIS de la police?

GR: Vous le savez, la décision de principe n’est pas encore prise. On ne sait pas encore si le projet sera centralisé, c’est-à-dire basé sur un seul système au niveau fédéral, ou décentralisé, avec éventuellement deux pôles, à Genève et à Zurich. Quoiqu’il en soit, Univac possède des références très intéressantes dans ce domaine notamment avec le projet suédois d’information judiciaire (JIS).

01: J’aimerais vous poser une dernière question. Allez-vous continuer le « Herbsttagung »?

GR: Je suis à l’origine de cette tradition qui veut qu’à chaque automne, Sperry Rand rassemble, à Zurich, plus de 1’000 personnes pour des conférences données par des personnalités suisses ou internationales.

Toutefois, je pense que les sujets de ces dernières années se sont éloignés de notre préoccupation majeure, l’ordinateur. Et sans que cette journée revête en quoi que ce soit un caractère publicitaire, je tiens à effectuer, dans les thèmes choisis, un retour à l’ordinateur.

01: Il y a là un parallèle frappant avec votre propre option, celle dont nous partions au début de cette interview.

Propos recueillis par Marielle Stamm

* Ce pourcentage de 16% se rapporte à la valeur installée des ordinateurs et non au nombre total des ordinateurs installés. Sur la part du marché d’Univac, voir nos prochains commentaires sur l’étude de l’institut d’automation et de recherche opérationnelle de Fribourg. (NDLR)