13 mars 1978

Viewdata veut sortir de son île

01 Informatique No. 479

Au commencement étaient le téléphone et la télévision… En les mariant avec l’informatique, les postes britanniques ont créé Viewdata. Un service aux facettes multiples qui s’adresse à la fois à l’homme d’affaires et au grand public. Traversant la Manche pour la première fois, Viewdata a fait son entrée sur la scène internationale. Sa première présentation officielle sur le Continent vient de se tenir à Zurich, où elle a attiré près de 150 personnes venues de toute l’Europe et même, pour quelques unes, de beaucoup plus loin. Dix écrans de télévision reliés par téléphone à Londres ont démontré, tout au long d’une copieuse journée, quelques unes parmi les innombrables possibilités du système.

Une invention commerciale

« Viewdata n’est pas une invention technique, c’est une invention commerciale » affirme Sam Fedida, père spirituel de Viewdata. Il existe, en effet, aujourd’hui dans le monde, des centaines de banques de données et de réseaux en temps partagé. Viewdata, qui repose sur ces deux piliers de l’informatique des années 1970, n’a pas eu, de ce fait, à surmonter de grandes difficultés technologiques.

L’innovation du système est d’offrir l’accès à un nombre d’informations pratiquement illimité à un coût bien inférieur à celui de la télé-informatique actuelle, et ceci avec une facilité d’emploi sans précédent, dans un environnement « convivial ». Bref de l’offrir non seulement à l’homme d’affaires, peu désireux de se frotter à l’informatique, mais aussi au grand public, par l’intermédiaire de son téléphone et de son écran de télévision.

Le principe étant acquis, l’éventail des services peut s’élargir à l’infini, de l’accès à de multiples banques de données publiques ou privées, au paiement électronique des prestations offertes par Viewdata, à la transmission des messages et au courrier électronique.

Les protagonistes

Les protagonistes de cette « nouvelle société d’information », celle que nous devrions connaître dès les années 80, se rangent aujourd’hui dans trois catégories, les PTT, les fabricants d’équipements et les donneurs d’informations.

Les PTT

La paternité de Viewdata revient au « very british » Post Office. L’idée germa, il y a 7 ans, pour se concrétiser en janvier 1976 par un essai-pilote. L’étape suivante sera l’extension partielle de Viewdata au grand public, au début de l’année prochaine, selon l’annonce officielle du 28 février dernier. Dans ce but, le territoire britannique sera couvert par 10 centres de calcul calqués sur le centre pilote de Martlesham qui comprend aujourd’hui deux mini-ordinateurs de fabrication anglaise du constructeur GEC Computers.

Les objectifs poursuivis par le Post Office en créant un tel réseau pour Viewdata, sont à la fois d’ordre national et international. Sur le plan national, il s’agit avant tout d’augmenter, de façon substantielle, le trafic téléphonique. Sur le plan international, les postes britanniques, profitant de leur avance dans ce domaine, cherchent à rentabiliser leur investissement en monnayant leur know-how auprès des PTT étrangères. Un premier succès est déjà à leur actif, puisque les PTT de l’Allemagne de l’Ouest ont acheté le système, dès l’an dernier.

Les fabricants d’équipements

Les récepteurs de télévision actuels doivent être modifiés pour pouvoir recevoir les informations provenant de Viewdata. Les fabricants sont en train de mettre au point, soit des adaptateurs pour les postes existants, soit de nouveaux postes destinés au grand public (en couleur) ou aux hommes d’affaires (moins coûteux et noir et blanc). Ces postes comprendront le téléphone et un miniclavier destiné au dialogue avec le système. D’autres terminaux seront également conçus pour des applications particulières: écoles, boutiques, lieux publics, etc.

Six constructeurs britanniques de récepteurs de télévision sont déjà partie prenante dans ces recherches.

Les donneurs d’informations

Les donneurs d’informations font partie d’une catégorie où la créativité se manifeste à l’infini.

Les plus enthousiastes se recrutent parmi les donneurs d’informations traditionnels, les journaux et les revues qu’on aurait pourtant pu croire les plus récalcitrants face à la menace d’une concurrence nouvelle. Ainsi David Gordon, International Business Editor du très sérieux « Economist » a-t-il déjà retenu mille pages de Viewdata.

Il nous est impossible de faire, dans le cadre de cet article, une liste exhaustive des domaines que pourra couvrir Viewdata. Mentionnons seulement les exemples commentés et démontrés a Zurich: la recherche d’un emploi selon des critères classés de manière arborescente, et l’achat de livres, d’objets pour l’artisanat, ou de séjour de vacances. Dans une étape ultérieure, le paiement pourra s’effectuer directement en communiquant au système un numéro de carte de crédit. On verra alors se greffer autour des trois catégories de protagonistes, déjà cités, de nouveaux intermédiaires, comme les banques, mais aussi les sociétés de services développant de nouvelles applications, et bien d’autres encore.

Les conditions du succès

L’avenir de Viewdata est entièrement fonction des prix qui seront pratiqués. Or, réciproquement, ceux-ci seront fonction de son succès. Le grand public ne « mordra » à Viewdata que si le service est accessible dans des limites raisonnables, soit pour un coût additionnel modique au coût des postes télévision. Or il a été prouvé que ce coût additionnel ne peut baisser qu’avec un accroissement spectaculaire des ventes de postes. Il ne chuterait à 50 £ sterling qu’avec un million d’utilisateurs.

Par ailleurs, on n’atteindra ce million d’utilisateurs que si l’éventail d’informations est extrêmement vaste et varié, que seuls des donneurs d’informations en très grand nombre pourront fournir. Nous sommes donc dans un schéma, où l’on ne sort du cercle vicieux, les investisseurs ne consentant à investir que s’ils sont sûrs de la réussite et le grand public n’étant attiré que si les prix baissent pour un très vaste service, qu’à une condition: que la pompe soit amorcée. Cette pompe, seul un organisme étatique, en l’occurrence les PTT, a les moyens de l’actionner. Ils ont déjà fait les premiers pas en décidant de subventionner les 1’500 premiers utilisateurs. De la rapidité de leur engagement futur dépend la réussite économique du système. Car nous l’avons vu, Viewdata ne sera un succès que s’il est exporté. Or des systèmes concurrents existent ou existeront sous peu. Si le Post Office n’a pas l’air très préoccupé par la concurrence de son collègue français avec le système Tic Tac, moins coûteux mais aussi moins rapide, d’autres projets pourraient voir le jour rapidement dès que l’accord se sera fait sur une interface internationale standard de télécommunication.

On comprend alors tout l’intérêt du grand show de Zurich et pourquoi, Viewdata doit sortir de son île à tout prix.

Marielle Stamm